Quatrième voyage : l'Albanie
Premier voyage dans un pays européen !
11/15/20256 min temps de lecture


Kryegjyshata, le Centre Mondial du Bektachisme, à Tirana.
Là où tout a commencé
L'Albanie est une étape symbolique des Voyages Livresques, parce que c'est avec ce pays que l'idée de projet est venue.
Il y a quelques temps, en lisant L’alcool dans les mondes musulmans. Histoire, lieux, pratiques et politiques (XVe-XXIe siècle), le numéro 151 de la Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, recueil d'articles sous la direction de Nessim Znaien et Philippe Bourmaud, j'ai découvert le bektachisme. L'article de Gianfranco Bria (disponible en accès libre), L’alcool entre déculturation religieuse et héritage soufi chez les musulmans albanais à l’époque postsocialiste, en substance, présente le bektachisme, un courant de l'Islam intégrant le raki (une eau-de-vie de vin aromatisée à l'anis) à sa pratique religieuse, et principalement présent en Albanie. Cette dernière connaît justement un regain religieux suite à la chute du régime d'Enver Hoxa, communiste et ayant fait une telle chasse aux religions que l'Albanie s'est proclamée "premier Etat athée du monde." Il faut noter qu'Enver Hoxa est né dans une famille musulmane liée à l'ordre des bektachis.
Cette histoire m'était complètement inconnue, et m'a fait prendre conscience d'à quel point le monde est vaste, riche en histoires. C'est en voulant en savoir plus, et en me questionnant sur quelle méthode adopter pour dénicher ces savoirs, que l'idée de Voyages Livresques est née.
Bien qu'assez inconnu en France, le bektachisme a pris énormément d'ampleur en Albanie, au point où le gouvernement étudie la question de constituer l'équivalent d'un Vatican à ce mouvement. Les images d'illustration de cet article montrent le Kryegjyshata, le Centre Mondial du bektachisme, qui deviendrait à terme un micro-Etat enclavé dans Tirana.
C'est donc naturellement qu'après avoir lu Histoire des albanais, de Serge Métais, ouvrage général sur l'histoire de l'Albanie, que je me tournerai vers Bektachiyya, études sur l'ordre mystique des bektachis et les groupes relevant de Hadji Bektach, d'Alexandre Popovic et Gilles Veinstein. Il s'agit d'un des deux seuls ouvrages francophones traitant spécifiquement des bektachis, le monde anglophone n'étant guère plus fourni.
Pour terminer mon tour d'horizon du contexte sociologique et historique, je vais m'intéresser plus spécifiquement à Enver Hoxa, dictateur communiste de l'Albanie de 1945 à 1985. J'ai choisi L'Albanie d'Enver Hoxa (1944-1985) de Gabriel Jandot, docteur en histoire, et un livre d'Enver Hoxa, Face au révisionnisme, pour avoir une idée plus précise de sa doctrine. Entre Face au révisionnisme et Bektachiyya, j'ai rarement eu autant de mal à trouver des livres, ces derniers ayant été tirés à très peu d'exemplaires et jamais réédités.
Ismaïl Kadaré, l'évidente porte d'entrée...
Probablement l'auteur albanais le plus connu en France, l'œuvre d'Ismaïl Kadaré est également l'auteur d'une bibliographie quasiment interminable, puisqu'on compte une cinquantaine d'écrits récompensés des distinctions littéraires dans un nombre stupéfiant de pays. Tenter ici de décrire ce monument est une mission impossible, et le plus simple est de renvoyer à sa page Wikipédia plus que fournie en détails et explications.
Mon choix s'est porté d'abord sur Le Général de l'armée morte, son premier roman qui lui a apporté un succès international suite à sa traduction française, il me semble donc naturel d'emprunter ce pont. En revanche, comment choisir parmi ses 50 autres travaux ? J'ai envisagé de choisir au hasard, mais finalement, le gouvernement albanais a fait ce travail de sélection au préalable en censurant pendant 7 ans Le Concert, roman traitant des relations sino-albanaises dans les années 70. Je me dis que s'il a été censuré, c'est qu'il doit être intéressant. Il y a également une cohérence avec Le Général de l'armée morte puisqu'il a également été traduit par Jusuf Vrioni, le traducteur historique d'Ismaïl Kadaré.
Pour une raison que j'ai oubliée, j'ai également sur ma table Avril brisé, un roman de vendetta. A vue de nez, je l'ai retenu pour découvrir les tours de claustration, des maisons-tours ottomanes utilisée pour servir de refuge en cas de besoin.
Anecdote découverte en rédigeant ces lignes : Enver Hoxa et Ismaïl Kadaré, son adversaire indéfectible, sont tous les deux nés à Gjirokastër, une ville de 25 000 habitants assez éloignée de Tirana. A cette époque, la ville était assez petite pour que la famille Kadaré connaisse la famille Hoxa.
... mais pas la première approche littéraire
Au moment où j'écris ces lignes, j'ai déjà commencé la lecture d'Histoire des albanais, et contrairement à ce que je pensais, je ne vais pas commencer la littérature albanaise par Ismaïl Kadaré, mais par Le luth des montagnes de Gjerdj Fishta. Je l'avais retenu pour sa réputation de "militant" de la littérature albanaise, pour son profil de catholique dans un pays orthodoxe et musulman, mais au moment de la sélection, je manquais d'informations et je n'ai pas relevé la plus importante. Si la langue albanaise est parlée depuis très longtemps, son écriture a été fixée il y a relativement peu de temps, plusieurs systèmes coexistaient (les signes arabes, latins, grecs, des mélanges, etc.). Gjerdj Fishta était président de la commission chargée de fixer un alphabet pour la langue albanaise, dont l'objectif premier était de favoriser l'enseignement en langue albanaise et de favoriser le développement de la littérature albanaise.
Au vu des dates d'écriture de son livre et de la tenue de la commission, il est très probable que Le luth des montagnes soit un des premiers livres écrits en albanais "unifié", c'est donc le point de départ littéraire le plus cohérent.
Un autre monument de la littérature albanaise
Si à l'international Ismaïl Kadaré est le plus connu des auteurs albanais, il n'est pas sans rival à domicile. Dritëro Agolli jouit d'une renommée égale à celle de Kadaré en Albanie, tout en lui étant opposé sur un point : là où Kadaré était opposé au régime d'Hoxa, Agolli a travaillé 15 années pour le journal au service du régime en place. Il a également enseigné la stylistique à l'université, et ses poèmes sont reconnus pour leur technicité et leur lyricisme.
Bien que plusieurs de ses oeuvres aient été traduites en France, son travail reste relativement méconnu dans nos contrées, j'ai donc fait mes choix un peu au hasard :
L'homme au canon, un roman se situant à la fin de la seconde guerre mondiale,
Splendeur et décadence du camarade Zulo, paru en feuilleton dans un journal satyrique en 1972, et qui a été un best-seller,
A fleur de fables, un recueil de poésie, puisque c'est dans ce genre qu'il s'est d'abord illustré.
Et enfin un petit bouquet de découvertes
Pour terminer ce tour d'horizon de l'Albanie, je me tournerai vers 4 œuvres.
Tirana blues de Fatos Kongoli, mathématicien de formation, dont l'histoire se passe en 2003, et ainsi donner une idée de la vie en Albanie contemporaine.
Soleil brûlé d'Elvira Dones, dont la particularité est d'être écrit en italien. Elvira Dones a choisi de fuir l'Albanie d'Hoxa en 1988, et de vivre à l'étranger. Le régime l'a condamné à la prison à vie par contumace pour ce choix. Ce livre traite des réseaux de prostitution entre l'Italie et l'Albanie.
Métamorphose d'une capitale d'Ylljet Aliçka, ancien ambassadeur d'Albanie en France, publié en 2021, qui s'inscrit dans le courant de la littérature post-dictature.
Et à l'inverse, Bardha de Témal : scène de la vie albanaise écrit par Pacho Vasa sous le pseudonyme Albanus Albano, écrit avant l'indépendance de l'Albanie. Pacho Vasa faisait parti de la Ligue de Prizen et s'inscrivait tout à fait dans le nationalisme albanais. J'espère y découvrir comment les albanais vivaient et quelles étaient leurs cultures à la fin du XIXème siècle.
A bientôt pour le carnet de lecture !
